Alors que les hôpitaux français font face à une crise sanitaire sans précédent, l’e-santé peut apparaître comme une partie des réponses à apporter aux mesures de confinement, à plus long terme à l’éloignement de certaines populations rurales des centres hospitaliers ou encore à l'instauration d'une démocratie sanitaire*.
Le cabinet d’analyses IDC France qui a publié mi-mars l'observatoire e-Santé** estime que 54% des établissements de soins ont, en 2019, augmenté leurs dépenses consacrées aux nouveaux projets numériques. En 2020, ils seront presque autant, mais on observe une accélération puisque 30% des établissements feront progresser leurs dépenses de plus de 5%, contre 23% en 2019, a précisé le cabinet dans son communiqué. Des données qui bien entendu ont été établies avant l’épidémie et seront sans doute à réviser dans un contexte post-épidémie où les perspectives en matière de dépenses de santé sont amenées à évoluer (investissements dans les infrastructures et revalorisation des salaires ?).
Avec le lancement par l'Etat du plan HOP'EN (HOPital numérique ouvert sur son ENvironnement) et du programme E-parcours à l'échelle des territoires, poursuit IDC, les établissements de soins n'ont d'autre choix que de poursuivre la modernisation de leurs systèmes d'information et de déployer des services numériques à destination des patients et des professionnels de santé, dont la médecine de ville, poursuit IDC. Mais justement qu'en pensent les intéressés de cette marche forcée vers le numérique en santé ? IDC n'en souffle mot.
Tout dépend évidemment de quel point on regarde le paysage : si IDC a, pour son enquête, interrogé uniquement des directeurs des systèmes d'information (DSI) et responsables informatiques de 150 établissements de soins, le GIS Marsouin a lui aussi fait une enquête sur l’e-santé http://www.decideur-public.info/2020/03/la-numerisation-de-la-sante-usages-et-perceptions.html mais vu du côté des sciences sociales en examinant les usages et perceptions tant des citoyens que des professionnels des secteurs de la santé et du social. Forcément lorsque l’on ne chausse pas les mêmes lunettes, on voit des situations différentes.
Pour Thierry Hamelin, Directeur des études chez IDC France qui a piloté cette étude, "la capacité de financement des établissements apparaît comme le principal challenge, car ils doivent moderniser leur système d'information et continuer d'assurer le fonctionnement de l'existant, le tout sous contraintes budgétaires". Par ailleurs le plan "Ma Santé 2022" est largement perçu par les sondés comme un accélérateur pour les initiatives numériques Un an après son lancement, les établissements de soins publics portent un regard positif sur le plan” Ma Santé 2022”, relève IDC. En effet, ils sont 73% à estimer qu’il va contribuer à accélérer leurs initiatives numériques pour les trois années à venir. Les DSI soulignent également que l'essor des services numériques dépendra de la vitesse de diffusion des socles technologiques sur lesquels ils ont vocation à s'appuyer, en particulier le Dossier Médical Partagé (DMP), l'Identifiant National de Santé (INS) et la Messagerie Sécurisée de Santé (MSS).
Ainsi pour les acteurs du numérique, les moyens financiers et les questions techniques sont les principaux obstacles au passage à la e-santé. Sauf que les usagers et les professionnels de la santé dont les comportements sont les clés pour une large adoption de la e-santé sont passés sous silence dans l’étude IDC.
Or, selon l’enquête du GIS Marsouin si les français ont bien commencé à utiliser des services de e-santé, des fractures apparaissent au sein de la population qui recoupent d'ailleurs celles observées en matière d’usages numérique au sens large à savoir, zones urbaines, zones rurales, jeunes, seniors, niveau d’études, revenus. L’enquête montre ainsi une opposition entre les plus diplômés (niveau supérieur à Bac +2) pour lesquels 52 % utilisent le numérique (« favoriser » ou « autant avec que sans ») et ceux ne détenant pas le baccalauréat (25 % d’entre eux utilisent le numérique).
Quant aux habitants des Zones Rurales Isolées (ZRI), ils sont moins nombreux à utiliser les plateformes de prise de rendez-vous médicaux. En outre, certains des individus ciblés par l’e-santé (les seniors et les personnes à mobilité réduite) sont plus indécis que l’ensemble des français concernant ses bienfaits : les seniors (40 % des plus de 75 ans contre 26 % en France) et les personnes à mobilité réduite (36 % contre 26 % en France) sont davantage indécises que l’ensemble des Français au sujet de la favorisation de l’hospitalisation à domicile ou du maintien des personnes âgées et handicapées à domicile grâce au numérique.
Par ailleurs, la qualité du débit internet perçu joue un rôle : un débit de mauvaise qualité à domicile favorise le pessimisme, observe le GIS. À titre d’exemple, 36 % des personnes insatisfaites de leur connexion à domicile pour réaliser des usages à débit minima sont pessimistes concernant la favorisation du maintien à domicile des personnes âgées et handicapées grâce au numérique (+7 points par rapport à l’ensemble des Français).
Pour les professionnels des secteurs de la santé et du social (PSS) le numérique est loin de faire l’unanimité et des lignes de fractures apparaissent également en leur sein. L’enquête CAPUNI montre que ces professionnels sont plus pessimistes que l’ensemble de la population quant aux perspectives induites par les technologies numériques en santé qui ont, rappelons-le, des impacts directs sur leurs métiers et leurs pratiques.
Qui dit numérique dit usages, qui dit usages dit différentes catégories de population à prendre en compte dans les programmes de développement qu’il s’agisse de e-santé ou de dématérialisation des relations Etat-citoyen. Le numérique n’est pas l’alpha et l’omega pour l’ensemble de la population française.
* Dumez, Hervé, et Étienne Minvielle. « L’e-santé rend-elle la démocratie sanitaire pleinement performative ? », Systèmes d'information & management, vol. volume 22, no. 1, 2017, pp. 9-37.
**L'Observatoire e-Santé réalisé par IDC, en partenariat avec en partenariat avec Maincare Solutions et Tessi, repose sur une enquête menée en France, entre septembre et octobre 2019, auprès de 150 établissements de soins, dont 98 issus du secteur public et 52 du secteur privé. Les personnes interrogées sont des décideurs IT (Directeurs des systèmes d'information et responsables informatiques). En complément de l'enquête menée auprès des établissements de soins, IDC a réalisé six entretiens avec des ARS / GRADeS.
Commenter cet article