Par Jean-Yves Chapuis, consultant en stratégie urbaine, ancien élu à l’urbanisme à Rennes et Rennes Métropole.
Les thèmes des élections municipales se sont concentrés cette année sur la nature dans la ville, les embouteillages et les transports en commun, la densité, la sécurité et la propreté. On peut y rajouter une forte critique des métropoles qui participeraient à la destruction de la planète. Certaines personnes du monde académique y voient l’incapacité des élus et des professionnels à changer de lunettes. Ils regarderaient un monde qui n’existe plus.
Le monde académique semble incriminer le monde des décideurs politiques, comme s’ils étaient seuls responsables à la fois de cette déconnexion et des malentendus qui persistent sur les solutions à mettre en œuvre. Ce constat me semble injuste et trop rapide. Monde politique et monde académique n’auraient-ils pas tout à gagner à changer de lunettes quand ils se jaugent l’un l’autre à distance, sans se confronter suffisamment ?
Plus largement, il me semble que les thèmes qui émergent pointent vers une défiance générale à l’égard des responsables publics qui peinent à répondre aux angoisses existentielles des citoyens. Cela se traduit par une demande tous azimuts, et une attente que les responsables politiques soient à hauteur de leurs préoccupations quotidiennes et existentielles
En effet l’action publique est soumise à des demandes contradictoires, aujourd’hui amplifiées par les réseaux sociaux qui exigent des réponses précises et immédiates. L’urbanisme n’est pas une science mais une pratique. Elle demande de l’humilité et la capacité à réunir, dans le temps, des compétences multiples pour réussir la fabrication de la ville. Les bureaux d’études qui sont sur le terrain le savent. Bien souvent, par la qualité de leur travail, ils posent aux élus des questions de stratégie difficiles à trancher par manque d’ingénierie urbaine.
A Rennes, la politique de l’habitat - souvent donnée en exemple - a été menée à la fois avec une maîtrise foncière et une politique de l’habitat social dans tous les quartiers. Cela s’est fait le plus souvent contre l’avis des habitants. Il y a des rapports de force à faire vivre qui ne sont pas toujours faciles à gagner.
Et le monde académique a été associé à cette politique : pas question qu’un projet de construction de logements ne voit le jour sans qu’un.e. sociologue n’ait donné son avis, apporté son regard, très complémentaire de ceux des élus, architectes, urbanistes etc.
Autres exemples avec les quais de la Garonne ou les berges du Rhône : la réalisation de ces opérations s’est faite avec de fortes résistances des citoyens. Aujourd’hui ces opérations d’aménagement d’espaces publics sont plébiscitées.
La construction d’une culture commune du projet urbain prend du temps. Et nous avons besoin de la coopération de tous, politiques, techniciens, experts du monde académique, artistes... Pour conduire une action publique engagée, en dialoguant véritablement avec la demande sociale, il faut créer ce que j’appelle des communautés éphémères, intégrant élus, techniciens, chercheurs, pour appréhender les nouvelles demandes des citoyens. C’est ainsi que l’on accepte de se comprendre, dans nos statuts différents
Ce n’est pas chose aisée d’apprendre à travailler ensemble, pour développer une maîtrise d’ouvrage urbaine forte, qui permette avec les citoyens un vrai débat. Plus que dans la dénonciation, il est pourtant là l’enjeu démocratique de l’appropriation et de la connaissance.
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