Quel regard portez-vous à propos des récentes décisions du pouvoir en France relatives à l’énergie nucléaire et plus largement en ce qui concerne l’introduction des innovations dans la société ?
Les faits récents nous racontent une toute autre histoire que celle d’une démocratie participative ou écologique « en marche », qu’il s’agisse du nucléaire, de la crise sanitaire ou d’autres domaines tels le secteur du numérique ou l’industrie pharmaceutique. Je pense que nous assistons même à un recul impressionnant du débat démocratique par rapport à la
décennie précédente. J’en veux pour preuve, s’agissant du nucléaire, le discours du président de la République, prononcé au Creusot le 8 décembre 2020, où il a affirmé que notre avenir « économique et écologique » passerait par le nucléaire, puis son allocution télévisée du
9 novembre 2021 durant laquelle il a déclaré qu’il souhaitait une relance de la construction de réacteurs nucléaires en France – avec au passage l’administration d’une troisième dose de vaccin liée au pass sanitaire – et, enfin, le discours de Belfort du 10 février 2022 où il a annoncé la construction de six réacteurs pressurisés européens (EPR, European pressurized reactor), type EPR2, pour une mise en service du premier réacteur en 2035. Or, ces annonces ont-elles été précédées d’un débat sur l’arrêt ou la poursuite du nucléaire ?
Certainement pas, puisque la consultation citoyenne sur la relance du nucléaire organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP), rendue obligatoire par la loi mais dont l’avis n’est que consultatif, vient à peine de commencer... En fait, nous n’avons jamais eu en France
de débats à l’échelle nationale sur les choix énergétiques et plus largement sociétaux.
J’observe encore que le Gouvernement, dans le but de « gagner du temps » pour construire ces nouvelles centrales, veut simplifier les procédures administratives : les sites seraient ainsi dispensés d’autorisation d’urbanisme car le contrôle de conformité serait assuré par les
services de l’État. Un projet de loi en ce sens a été présenté en Conseil des ministres, projet pour lequel le Conseil national de la transition écologique (CNTE), qui regroupe syndicats, patronat, ou encore des organisations non-gouvernementales (ONG), a « regretté les délais insuffisants » qui lui ont été laissé pour se prononcer sur ce texte.
Il y a une volonté de la part du Gouvernement, comme d’EDF, de passer en force alors que la consultation citoyenne est en cours. Je note enfin la même volonté de « gagner du temps » cette fois sur la mise en chantier des parcs éoliens offshore, ce qui fait réagir les pêcheursqui dénoncent eux aussi une absence de concertation.
Ce passage en force constitue-t-il un phénomène nouveau ?
...
La suite à lire dans la revue Horizons publics : DOSSIER SCIENCES, SOCIÉTÉ ET ACTION PUBLIQUE À L’HEURE DES BIFURCATIONS, p.78.
*Les recherches de Sezin Topçu portent sur les formes de gouvernement des innovations techniques et médicales controversées, en particulier sur les processus de leur normalisation, mais aussi sur l’éventuel échec de leur insertion dans le corps social, sous l’effet des contestations sociales. Deux phénomènes sont au cœur de ses enquêtes empiriques : nucléarisation et médicalisation.
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