André Brunetière, Directeur R&D et Stratégie de Sage France
L’introduction de l’électricité dans les usines au début du XXe siècle, environ 100 ans après la machine à vapeur, a heurté puis balayé des processus d’entreprise bien établis, des positions acquises, des stratégies élaborées et des capitaux investis. L’énergie produite sur place pour alimenter ces machines a été remplacée par des moteurs fonctionnant à l’électricité, acquise auprès d’un producteur situé loin des usines. De nouveaux métiers et services sont apparus, libérant une grande énergie créatrice.
L’informatique vit aujourd’hui un phénomène similaire avec l’arrivée du cloud computing, une « énergie informatique » accessible via le Web, fournie par différents types de producteurs (pour les infrastructures) et de transformateurs (pour les applications). Le cloud computing combine trois éléments d’une façon extrêmement puissante : l’innovation, essence même des technologies de l’information, la consommation, qui repose sur le désir et la confiance, et la créativité au sens large du terme.
Le système d’information : un consommable de services
La consommation, moteur de nos sociétés modernes, s’invite chaque jour davantage dans le monde des technologies de l’information. Les entreprises sont influencées par ces nouvelles habitudes, où l’on consomme de la mobilité avec des forfaits configurables et révisables à tout moment via les sites Web des opérateurs et où l’on peut désormais louer son Smartphone. Les TPE et les PME sont particulièrement représentatives de ce mouvement et expriment le désir d’être libérées des contraintes techniques, financières et fonctionnelles de leur informatique, et d’utiliser celle-ci comme on consomme une énergie.
La rupture en matière de cloud computing se situe dans cette manière d’appréhender les systèmes d’information, devenus un consommable, devant avant tout rendre un service. L’entreprise n’achète plus un logiciel de comptabilité mais une somme de services tels la liasse fiscale, la traçabilité des factures électroniques ou encore la déclaration sociale nominative. Des services que l’entreprise pourra faire évoluer en quelques clics, lorsqu’elle verra sa taille croître ou encore qu’elle ouvrira des filiales à l’étranger, etc.
Une question de confiance
Cette tendance va croître à mesure que va arriver sur le marché du travail et à la tête des entreprises la génération née avec Internet, les Smartphones et les réseaux sociaux. Pour ses représentants, les ressources informatiques – puissance, stockage, information, application… – ne sont naturellement pas localisées au sein de l’entreprise, mais dans le Réseau, et l’aspect « possession » d’un matériel ou d’un logiciel n’entre quasiment pas en ligne de compte. La jeune génération préfère, comme dans la sphère privée, consommer du service et de la fonctionnalité et transformer des coûts fixes en coûts variables. La proposition de valeur de l’offre doit donc s’adapter à cette nouvelle donne. Les caractéristiques du cloud computing permettent cette flexibilité, cette adaptabilité et cette élasticité vis-à-vis de la demande.
Mais cet appétit de consommation ne saurait se développer sans la confiance. Pour cela, les fournisseurs d’énergie informatique doivent prouver que les entreprises peuvent placer leurs données sensibles et critiques sur leurs plates-formes techniques. Ils doivent donc être en mesure de garantir la disponibilité et la cohérence de ces données, la confidentialité, la tolérance aux pannes, la résistance aux attaques malveillantes et la rapidité de réponse. Toutefois, les interrogations formulées au sujet du cloud computing en matière de sécurité ne sauraient faire oublier une réalité : chaque année, les nombreux rapports des cabinets de conseil et d’études qui scrutent les dépenses des entreprises pour protéger leurs propres systèmes d’information aboutissent souvent aux mêmes constats : les attaques augmentent mais les investissements ne suivent pas. Très peu d’entreprises pourraient aujourd’hui dire qu’elles investissent autant que les fournisseurs d’énergie informatique pour protéger leurs systèmes d’information.
Personnaliser le système d’information
Enfin une autre caractéristique du cloud computing tient à l’explosion due au potentiel de créativité qu’il crée pour faire du sur-mesure, potentiel sans commune mesure avec l’approche actuelle de personnalisation des logiciels. Dans le cloud, une « personnalisation » du système d’information de l’entreprise combine des briques logicielles standards, dont font partie les offres de gestion, avec une multitude d’Apps gravitant autour de ces briques, chaque App assurant quelques fonctions très précises avec une ergonomie optimisée. Au final, c’est la combinatoire qui crée la personnalisation, comme sur un Smartphone : chaque téléphone devient particulier du fait des Apps qu’il utilise.
Cette énergie créative du cloud computing arrive à point nommé pour aider les entreprises à gagner en compétitivité en fluidifiant leur management et en améliorant l’efficacité de leurs organisations. Aujourd’hui, qu’il soit salarié ou dirigeant, un homo mobilis a le monde à portée de main grâce à son Smartphone mais il atteint rarement le monde de son entreprise ! Aujourd’hui, très peu de sociétés ont rendu leurs progiciels de gestion accessibles à un grand nombre de salariés. Le plus souvent, c’est parce qu’elles souhaitent éviter une dégradation des données par des utilisateurs peu avertis, la maîtrise du progiciel supposant une formation longue et onéreuse. La plupart des collaborateurs se voient donc refuser l’accès aux données de l’entreprise, ce qui est souvent un frein à leur réactivité, leur efficacité et leur créativité.
Le Cloud Computing dédié à l’écosystème de l’entreprise
Demain, le cloud computing va permet au contraire de créer, en dehors du cœur du système d’information de l’entreprise, dans des structures de données dédiées opérées par un fournisseur, des applications mobiles à destination des salariés avec des données spécifiques correspondant à leur profil de métier (commercial, technicien SAV, gestionnaire d’entrepôt, responsable maintenance…). Un commercial pourra ainsi obtenir des données sur son portefeuille de clients sans avoir pour autant à accéder au progiciel. Un manager pourra récupérer les données de son activité afin de les agglomérer et bâtir des indicateurs qui lui seront propres. On peut aussi imaginer un portail « collaborateurs » sous forme d’App mobile, le collaborateur pouvant alors consulter son solde de congés ou encore établir ses notes de frais. Quant au dirigeant, il aura accès à tout moment, sous forme de tableaux de bord, aux informations critiques de son entreprise sur sa tablette ou son Smartphone. L’univers du cloud computing permet de créer différents niveaux de personnalisation des applications en fonction de l’utilisateur qui peut ensuite gérer lui-même ce micro-environnement. Demain, nous choisirons probablement une application de gestion, de comptabilité, de CRM, en fonction de l’univers des « Apps » qui lui sera associé.
Avant d’en arriver là, les différents acteurs qui composent l’offre vont devoir faire évoluer leurs rôles respectifs et repenser en profondeur leur position dans la chaîne de valeur ajoutée. L’histoire de « l’énergie informatique » ne fait que commencer…
André Brunetière, Directeur R&D et Stratégie de Sage France