Comment un Schéma de Cohérence Territoriale ou SCoT en jargon technocratique peut-il devenir une aventure humaine ? La question peut paraître incongrue si l’on cantonne ce dispositif obligatoire à un débat d’experts et de gestionnaires entre bureaux d’études et élus. Une démarche qui pourrait s’apparenter au fameux racisme de l’intelligence mis à jour par Pierre Bourdieu où la pensée de conception, forte de moyens spécifiques, repousse la pensée de la pratique dans les limites de l’exécution.
Pourtant ceux qui sont les mieux placés pour inventer dans un territoire ce qui leur convient, n’est-ce pas ceux qui y vivent et en connaissent les difficultés, les exigences et les atouts? Parce que l’on ne change pas la société par décret*, nous avons souhaité durant la phase de diagnostic du SCoT non seulement écouter mais aussi associer les citoyens de notre territoire à une vaste réflexion sur son avenir.
Ecouter parce que tout langage se définissant par ce qu’il rejette**, un SCoT “classique” nourri uniquement par un langage d’experts et de gestionnaires aurait immanquablement rejeté celui des citoyens.
Associer car les nombreux signaux envoyés par la société civile ces dernières années vont dans le sens d’une démarche collaborative. Or, nous considérons que chaque citoyen est un expert de l’usage dont les connaissances valent bien celles des concepteurs. Plutôt que d’ignorer cette expertise nous avons donc choisi de l’associer à celle de la conception d’une stratégie d’aménagement pour 2040. Ce d’autant plus qu'un SCOT n'est en fait qu'un outil -non une fin en soi- au service d'un territoire et de ses habitants afin de co-construire un projet politique par une approche prospective.
Le panorama dans lequel se déroule l’aventure du SCoT est donc clair : c’est celui d’un réveil de la démocratie locale, d’une prise de conscience que l’Etat ne sera plus jamais Providence vis-à-vis des collectivités tant en compétences qu’en moyens financiers, d’une nécessité de prendre notre destin en main et de le faire d’une manière collective.
Raison pour lesquelles nous avons, pendant ces 18 derniers mois, distribué des questionnaires et sillonné en tout sens le Périgord vert -territoire très décentralisé- à la rencontre des citoyens, organisé de multiples réunions, abordant sans relâche les thèmes qui y font débat tels que l’avenir de l’agriculture, l’amélioration des transports, la création d’un pôle de formation en liaison avec les besoins des industries locales, ou encore la possibilité de développer une véritable filière bois en devenant transformateurs de matières premières et plus seulement producteurs.
Cette phase de diagnostic est à présent achevée. Elle a permis de commencer à recréer un débat démocratique et cette voie doit être poursuivie sans faillir car l’implication politique des citoyens fait aujourd’hui largement défaut. A cette défiance et un attentisme ambiant nourri par un Etat omni-présent depuis les années 50, il convient d’ajouter les caractéristiques propres à notre territoire, à savoir une population âgée, une sorte de résignation due à une histoire très “seigneuriale” et un vivre-ensemble à construire avec les néo-ruraux toujours plus nombreux.
Ainsi le renouveau de la démocratie locale -et de la démocratie tout court- prendra probablement des décennies. Si l’on en croit les sociologues le temps du changement social demande environ 30 ou 40 ans. Voilà qui implique dès à présent un changement de posture de la part des élus qui ne doivent plus être seulement des gestionnaires mais aussi des animateurs d’un territoire.
*Michel Crozier, On ne change pas la société par décret, Paris, Grasset, 1979.
** Roland Barthes, Comment vivre ensemble, Cours et séminaires au Collège de France (1976-1977), Paris, Éd. du Seuil, 2002.
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