Alors que l’information durant le mois de décembre 2019 était totalement focalisée sur la grève contre la réforme des retraites, l'Institut Paris Region a publié une intéressante “note rapide” ( https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/les-impacts-energetiques-et-spatiaux-des-data-centers-sur-les-territoires.html ) sur un sujet moins brûlant mais pourtant très préoccupant et structurant pour la vie dans les territoires à savoir le développement des Data centers ou centre de données. Malheureusement passé sous silence -tout comme la note- ce phénomène est le fait de quelques très puissants acteurs mondiaux -Gafam en tête- qui, vu la croissance de l’univers numérique, ont besoin de toujours plus de puissance et d’espace pour capter, stocker, analyser, “raffiner”, utiliser ce qui est communément appelé l’or noir du XXIème siècle à savoir la donnée.
Or, cette soif de puissance et d’espace n’est pas sans conséquence en termes énergétique, écologique, foncier et d’urbanisme. C’est ce que démontre Cécile Diguet, urbaniste et Fanny Lopez, enseignante-chercheuse en histoire de l’architecture et de l’urbanisme, des techniques et de l’environnement, les auteures de cette “note rapide”.
Flou, anonyme, masqué
Comme toute activité industrielle, les centres de données sont en effet gourmands en énergie électrique (celle de la seconde révolution industrielle sans laquelle ils ne pourraient exister…). Mais gourmands à quel point ? La “note rapide” fait état de divers chiffres et sources existants sur le sujet au niveau mondial dont une étude issue du centre de R&D de Huawei à Stockholm : le secteur du numérique consommait 7% de l’électricité produite en 2013, les centres de données en représentant 2% soit tout de même 420TWh (un réacteur nucléaire a généralement une production annuelle de 7 Twh). Les projections de cette même étude pour 2030 font grimper à 51% de l’électricité mondiale (scénario du pire) la part consommée par le numérique.
Pour la France la note fait mention d’une étude de l’association négaWatt qui estime que le secteur du numérique consomme 8,5% de l’électricité du pays dont 2% pour les centres de données. Toutefois il n’existe pas de projections pour la France des données au niveau mondial.
Ce flou relatif est bien entendu préjudiciable à l’appréhension précise du problème mais la tendance est bien à la hausse de la consommation électrique du secteur du numérique tout comme celle de ses émissions de CO2. L’aspect écologique n’est donc pas moins préoccupant : “le secteur numérique dans sa globalité augmente ses émissions de CO2 de 8 % par an, alors qu’il devrait les diminuer de 5 % par an pour que l’augmentation des températures planétaires puisse rester sous 1,5° en 2030”, rappelle les auteures de la note.
La ramification du système des centre de donnnées est un peu comme les particules fines, on ne l’identifie pas : “il reste largement anonyme dans les paysages urbains et ruraux”, font remarquer Cécile Diguet et Fanny Lopez. Les deux chercheuses font ensuite état des trois tendances qui viennent impacter ce système et notamment celui de sa croissance continue et de sa centralisation par les grands monopoles des Big Tech qui contrôlent désormais les principaux services du Net et les données de milliards de personnes et d’entreprises.
Enfin elles analysent l’impact du développement des centres de données sur la structure des territoires et leur effet consolidant sur les hiérarchies existantes entre grands centres urbains, où se connectent les câbles internet mondiaux, périphérie métropolitaines pour certains types de centres de données et de cloud et territoire ruraux et périurbains convoités par les Gafam pour leur isolement, les avantages fonciers et fiscaux accordés par les collectivités.
Outre le poids démesuré et les ressources des Gafam face aux acteurs des mondes ruraux, les auteures de la note citent un cas aux Etat-Unis, dans l’Oregon, où Facebook et Apple ont implanté leurs data centers en avancant “masqués”. Or pour Facebook on parle aujourd’hui de 5 implantations totalisant 200 000 m2 . Une ville de 10 000 habitants a ainsi vu sa puissance électrique nécessaire passée en dix ans de 10 à 500 MGW ! Les immenses besoins énergétiques des Gafam “déstabilisent les équilibres économiques et énergétiques des territoires”, estiment Cécile Diguet et Fanny Lopez.
“Si les dynamiques d’implantation de ces centres est difficile à cerner, il est acquis que leur impact spatial et énergétique va être de plus en plus structurant pour les territoires, dessinant une nouvelle géographie numérique. Un phénomène de déploiement qui n’est pas, ou si peu, pris en compte dans les documents de planification urbaine, numérique et écologique”, déplorent les deux chercheuses. D’où la nécessité de réfléchir en urgence à la mise en oeuvre de stratégies de solidarité énergétique et d’intégration spatiale et systémique de ces « nouvelles usines ».
Pour les auteures de la Note il est indispensable : "de rapprocher davantage les acteurs de l’énergie, du numérique et des collectivités locales, et d’acculturer ces dernières au sujet technique des data centers. Il paraît également intéressant d’imaginer des territoires d’expérimentation pour une meilleure intégration des data centers, y compris via des projets publics comme celui de la ville de Paris. Enfin, concilier planification énergétique, urbaine et numérique est un autre sujet à creuser, pour une meilleure localisation de ces structures, favorisant notamment la récupération de leur chaleur fatale."
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