Dernier rebondissement en date dans la série «technosciences » de l’année qui a pour thème principal le déploiement de la 5G en France : le moratoire (qualifié de « tartufferie incompréhensible » par le gouvernement) adopté début octobre par la ville de Lille qui vise à surseoir sur son territoire « à toute autorisation d’implantation ou d’allumage d’antennes tests liées à la technologie 5G » et ce jusqu’à la publication prévue au printemps 2021 d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). La municipalité nordiste n’est toutefois pas seule dans cet appel à la réflexion voire à la prudence puisque d’autres grandes villes françaises comme Grenoble, Lyon, Rennes, Strasbourg ou Paris font part de leurs interrogations sur ce déploiement, en appellent au principe de précaution, ou encore au respect de la volonté des citoyens pour lancer des débats démocratiques.
Mais au juste pourquoi déployer une nouvelle technologie alors que tout en chacun peut faire l’expérience de zones blanches où les communications mobiles sont impossibles ou mauvaises, y compris en agglomérations ou dans les transports. Que la 4G fonctionne correctement partout, a-t-on envie de rétorquer à l’introduction "qui va de soi" d’une nouvelle technologie ! En outre il convient de s’interroger non seulement sur l’utilité de la 5G, mais aussi sur son coût pour les utilisateurs et son impact sur l’environnement.
Décideur Public a demandé à Frédéric Bordage, auditionné en février 2020 par le Sénat dans le cadre de la mission d’information relative à l’empreinte environnementale du numérique** et auteur de l’ouvrage Sobriété numérique. Les clefs pour agir ***, son avis sur ces questions ainsi que sur la position de certains édiles face au Progrès forcément toujours radieux représenté ici par la 5G :
« Les maires demandent finalement, ce que demandent leurs administrés : comprendre à quoi va servir la 5G et si elle est "dangereuse" ou pas. Il semble logique de respecter la demande des français de disposer des études d'impacts (sanitaires et environnementaux, mais aussi d'usage) préalablement au déploiement d'une technologie qui, semble-t-il, interroge bon nombre de français.e.s.
Lors de mon audition devant le Sénat j’avais rappelé à propos de l’impact environnemental du déploiement de la 5G que cette technologie n’était pas nécessaire pour 98 % des usages numériques.
Tout le monde reconnaît que la 5G est surtout intéressante pour les opérateurs en zone très dense et pour le déploiement d'objets connectés, essentiellement pour les entreprises. Le seul apport de la 5G pour le commun des mortels c'est davantage de débit avec des temps de latence plus court. Mais la 4G semble satisfaire tout le monde. Le problème ce n'est pas la 5G, c'est l'absence de déploiement de la fibre et de la 4G là où c'est moins rentable pour les opérateurs.
Sur le fond, cela montre que les pouvoirs publics (et pas seulement le gouvernement) n'apportent pas de preuve assez solide pour rassurer les français.
Cela montre également que la course technologique n'intéresse pas tant que ça les français qui ne souhaitent pas voir leur forfait téléphonique augmenter. Ce qui sera le cas avec la 5G. La 4G donne satisfaction et ce qui fait « râler » les français, ce sont les zones blanches et la lenteur d'accès à la fibre en province.
Le confinement accentue encore plus la fracture numérique et montre que le télétravail n'est possible qu'avec un déploiement généralisé de la fibre, et, le cas échéant, de la 5G pour les zones trop difficiles à fibrer. En l'état, la 5G et le confinement accentuent la fracture numérique plus qu'ils ne la comblent. C'est donc logique que cela interroge des maires.
Au final, la 5G cristallise le débat sur les impacts environnementaux et sanitaire du numérique et sa place dans la société en général. Le regain d'intérêt des maires pour cette problématique est un signe positif de vitalité de la démocratie. »
**http://www.senat.fr/presse/cp20200624b.html
***Bordage F., Sobriété numérique. Les clefs pour agir, 2019, Édition Buchet-Chastel.
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