Décideur Public – Univers numérique a sollicité Frédéric Bordage, fondateur et animateur de GreenIT.fr* et auteur de l’ouvrage Sobriété numérique. Les clefs pour agir **, sur les questions soulevées par le déploiement de la 5G :
Pourquoi cette situation de contre-temps entre les débats citoyens, les études sur les impacts de la 5G et les déploiements des opérateurs ?
Frédéric Bordage : La 5G a été lancée sous la pression des acteurs économiques, avant que des études d'impacts sanitaire et environnementale incontestables, c'est-à-dire basées sur une approche scientifique et disposant de toutes les informations nécessaires à leur établissement, ne soient disponibles. En attribuant à la hâte les fréquences aux opérateurs, le gouvernement a récolté peu plus de 3 milliards d'euros. Mais il s’est mis à dos la société civile car ce contre-temps est un manque de respect pour la démocratie et les citoyens. D’autant que la Convention Citoyenne pour le Climat a demandé un moratoire. Heureusement, les élus locaux se font le relais du questionnement de leurs administrés. La mobilisation de grandes métropoles qui établissent des moratoires le temps que des études solides soient disponibles est un signe de vitalité de la démocratie.
La 5G n'est d'ailleurs que l'une des multiples facettes d'un problème de société : en démocratie les citoyens ont le droit de savoir si une innovation sera susceptible de mettre en danger leur santé et l'environnement. Imposer un choix est-il le signe d'une société démocratique et avancée ? Permettez-moi de rappeler que dans la Grèce antique les citoyens dirigeaient, au terme de discussions publiques, de caractère profane, les affaires de l'Etat...Puisque le débat au niveau national n'a pas eu lieu, le débat local est essentiel.
Quid des acteurs économiques qui ne l'oublions pas sont côtés en bourse et donc minutieusement scrutés par les analystes financiers ?
Frédéric Bordage : Les fabricants de smartphones sont désireux de vendre toujours plus de nouveaux équipements. Mais la mise en place précipité de la 5G est tout autant due aux opérateurs. Car l'enjeu est stratégique pour ces derniers. L’abandon de plus en plus fréquent d’une connexion filaire insuffisante (ADSL notamment) au profit d’une connexion 4G rebat les cartes. L’opérateur qui déploiera le premier un réseau 5G avec des forfaits adaptés pourrait ravir des millions de clients à ses concurrents.
Les caractéristiques techniques de la 5G, en termes de débit, stabilité et temps de réponse, permettent de se passer d'une box. Entre 70 et 90 euros par mois, un abonnement 5G est plus cher que le cumul d’un abonnement ADSL et téléphonique. Mais un grand nombre de français n’en peuvent plus d’attendre, depuis des années, le déploiement de la fibre. Surtout lorsqu’ils doivent télétravailler. Le risque de cannibalisation des connexions filaires par la 5G est donc réel puisque c’est déjà le cas avec la 4G. Et il ne peut qu’augmenter face à l’inertie du déploiement de la fibre.
Hormis quelques situations très spécifiques en zone ultra-dense qui la justifie, la 5G n'est pas aujourd'hui déployée là où cela ferait sens à savoir dans les zones rurales isolées, en montagne etc. Ces zones ne sont toujours pas (bien) desservies par la fibre ou la 4G. De ce point de vue la couverture nationale en 5G n'est absolument pas justifiée. Un territoire entièrement fibré et un réseau 4G qui fonctionne partout voilà, selon moi, ce que la France attend.
Vous avez évoqué plus haut des études d'impacts sérieuses. Qu'entendez-vous par là ?
Frédéric Bordage : En partant du principe qu’on dispose de toutes les données nécessaires, ce qui n’est pas du tout le cas, modéliser les impacts environnementaux de la 5G nécessite environ 18 mois à 24 mois de travail. Je ne vois donc pas comment nous serions capables de les produire en quelques mois pour les publier dans le courant de cette année et faire mieux que les études internationales ! Ainsi j'observe que la Commission européenne n'a pas réussi à trancher la question de l'impact des ondes électro-magnétiques associée à la téléphonie mobile. Quand aux méta-études si elles ont révélées un effet certain des ondes électro-magnétiques sur les tissus humains, elles n'ont pas pu établir une relation de cause à effet avec les ondes électromagnétiques utilisées par les terminaux mobiles.
Cela dit, il a fallu deux générations pour accepter la nocivité du tabac qui n'était pas considéré comme ayant des effets sur la santé jusqu'à que cela soit prouvé ! En outre, sur l'aspect environnemental, il manque des données : nous n'avons pas par exemple les chiffres de densité de déploiement des cellules 5G tout comme il n'existe pas d'études scientifiques relatives aux coûts écologique d'une antenne 5G. Les seuls chiffres qui circulent proviennent des industriels et des opérateurs. Ce n'est pas mieux du côté des usages où l'on part sur des a priori des opérateurs. Mais comment ont-ils pu quantifier à l’avance des habitudes 5G que n’avons pas encore prises ?
Les rares études nationales existantes, parce qu'elles ont manqué de temps pour leur réalisation, produisent des résultats que l'on connaît déjà. Celles considérées comme officielles ne respectent pas les protocoles internationaux de quantification d'impacts. Il nous faut du temps pour s'atteler sérieusement aux impacts sanitaires et environnementaux de la 5G, avec des études nourries non pas de certitudes mais du doute raisonnable au sens scientifique du terme et qui puissent enfin permettre de répondre de manière indiscutable aux questions que les français se posent en matière sanitaire et environnementale à propos des réseaux 5G. Les français ne sont ni pour ni contre la 5G. Ils ont peur pour leur santé, celle de leurs enfants, et de la planète. Ils souhaitent simplement être rassurés sur les effets de cette technologie avant d’en accepter (ou pas) le déploiement. C’est un signe de maturité que nos dirigeants devraient encourager.
**Bordage F., Sobriété numérique. Les clefs pour agir, 2019, Édition Buchet-Chastel.
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