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Décideur Public - Univers Numérique

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« Au-delà des discours, quel rôle veut-on pour les directeurs généraux des services ? » Entretien avec Hélène Guillet, vice présidente du Syndicat National des Directeurs Généraux des Collectivités Territoriales.

Publié par Décideur Public - Systèmes d'Information sur 12 Septembre 2019, 09:04am

Catégories : #Le regard de....

« Au-delà des discours, quel rôle veut-on pour les directeurs généraux des services ? »  Entretien avec Hélène Guillet, vice présidente du Syndicat National des Directeurs Généraux des Collectivités Territoriales.

Décideur Public : Dans le mouvement perpétuel de transformation qui rythme l’univers des collectivités territoriales, quel est l’état des relations entre les directeurs généraux et les élu(e)s ?

 

Hélène Guillet : Elles sont généralement de qualité. Néanmoins, les profondes mutations de cet univers peuvent générer des situations de conflits allant parfois jusqu’à la rupture entre un(e) élu(e) et le directeur ou la directrice générale. En effet, lenvironnement dans lequel nous agissons est toujours plus complexe et ses évolutions de plus en plus rapides.

 

Ainsi en est-il du vaste mouvement de fusion, regroupement et coopération de collectivités, qu’il s’agisse des régions, des départements, des métropoles et des intercommunalités. Tout comme la prise en compte par une collectivité non pas du public mais Des publics et de leurs aspirations et exigences : plus de souplesse, plus de facilité, moins de coûts… ceux qui travaillent à un endroit n’y habitent pas forcément; en zone rurale le conjoint doit souvent trouver du travail ailleurs, les sujets environnementaux sont devenus incontournables etc. Les limites géographiques ont moins de signification et le temps de l’autarcie traditionnelle des communes est bien révolu !

 

Les partenariats, la multiplicité des intervenants, les exigences nombreuses génèrent également de la complexité qu’il faut savoir manager. Le nouveau monde des collectivités territoriales est riche d’opportunités ou d’autant de conflits, selon l’état d’esprit et la manière dont on l’aborde.

 

Décideur Public : Dans quelle mesure cet environnement est-il porteur de rupture pour les directeurs généraux ?

 

Hélène Guillet : Tout simplement parce qu’il requiert d’autres qualités que celles de la seule expertise juridique, sociale, technique ou autre, traditionnels marqueurs de la fonction qui allaient de pair avec l’étendue des compétences des collectivités.

 

Aujourd’hui ce que les cabinets de recrutement et les élu(e)s recherchent, dans un monde où l’interaction prime, ce sont des managers de la complexité avec des postures qui relèvent du savoir-être tels que l’agilité, l’ouverture d’esprit, le sens de l’animation, de la négociation, du leardership. Sans esprit de médiation et les techniques associées pour faire avancer un dossier, il est aujourd’hui aisé de bloquer une situation.

 

Etre un expert ne suffit donc plus et cette remarque ne s’applique pas seulement aux directions générales mais aussi à leurs équipes et à la capacité à travailler en synergie et de manière collective. En outre, comme on ne change pas la société par décret pour reprendre la célèbre formule de Michel Crozier, le bon fonctionnement d’un collectif ne se décrète pas non plus. Cela demande une impulsion qui vient du plus haut niveau et, à mon sens, une aisance à administrer, conduire, mener des organisations et leurs systèmes.

 

Décideur Public : Qu’en est-il du «facteur naturel » de rupture à savoir l’alternance politique ?

 

Hélène Guillet : Je mentionnerai trois points dans ce domaine. Tout d’abord je rappelle que les ruptures entre directeurs généraux et les élu(e)s avaient plutôt lieu dans les grandes et moyennes collectivités. Avec l’abaissement des seuils de détachement, les fins de détachement se sont progressivement généralisées aux petites collectivités. Ensuite les ruptures étaient « classiquement » la conséquence de l’alternance politique : souvent l’équipe qui venait d’être élue demandait le départ du directeur général qui avait travaillé avec l’ancienne majorité.

 

Depuis 2014, nous constatons un brouillage des repères et il n’existe plus de « règles » en la matière. Par exemple, nous avons observé qu’un certain nombre d’équipes réélues ont demandé aux directeurs généraux en place de partir, ou des collègues qui avaient connu plusieurs alternances politiques ont été remerciés.

 

Dans certaines collectivités, nous observons des fins de détachement successives : jusqu’à 3 directeurs généraux des services en 5 ans. Nous avons également connaissance de cas récents de rupture alors que nous sommes à moins d’un an des prochaines élections municipales. Certes de telles situations restent l’exception mais elles montrent tout de même une situation plus générale de tension et d’instabilité qui s’est accrue au fil des années*.

 

Décideur Public : Comment expliquez cette évolution ?

 

Hélène Guillet : A l’heure actuelle on ne peut qu’émettre des hypothèses, faute d’une enquête et d’une analyse approfondies. On peut avancer comme explication l’arrivée de nouvelles équipes d’élu(e)s sans culture territoriale, plus jeunes, qui ont envie de changement « par nature ». On peut aussi mettre en avant les transformations profondes évoquées plus haut et les nouvelles méthodes de travail qu’elles exigent.

A tort ou à raison, les élu(e)s peuvent avoir le sentiment que le profil du ou de la directrice générale fait qu’il n’est plus l’homme ou la femme de la situation, qu’il est resté trop longtemps en place, qu’il n’a pas pu ou su anticiper et appréhender les changements en cours etc. Mais je me garderai bien de généraliser car chaque cas est particulier, lié à un contexte. Quoi qu’il en soit, depuis une dizaine d’années, les situations de rupture sont plus courantes, souvent plus brutales et parfois sans que tous leurs effets en soient bien mesurés.

 

Décideur Public : Apprendre et réapprendre : il semblerait que la voie royale pour les directions générales se situe dans la formation continue et l’accès à certains enseignements -ou leur approfondissement- tels que les sciences humaines et sociales. Qu’en pensez-vous ?

 

Hélène Guillet : Je trouve très à propos la pensée du futurologue américain Alvin Toffler sur le besoin fondamental d’apprendre et réapprendre. Dans le même ordre d’idées, voilà tout de même plus de deux siècles, Talleyrand** rappelait que « L'instruction doit conserver et perfectionner ceux qu'elle a déjà formé ; elle est d'ailleurs un bienfait social et universel ; elle doit donc naturellement s'appliquer à tous les âges ». Si cette nécessité de formation permanente ne peut faire débat, surtout dans le contexte que nous venons d’évoquer, encore faut-il s’entendre sur les matières à privilégier en fonction des situations particulières mais aussi des tendances de fond de notre société.

 

Nul doute que les techniques, qui évoluent très vite, demandent des mises à niveau constantes et de l’accompagnement. Au sein d’une collectivité où il existe un seul cadre de catégorie A par exemple, le « décrochage » peut très rapidement s’opérer. C’est typiquement le cas pour l’univers numérique : la direction générale sait que la dématérialisation des documents, procédures d’achats etc. est importante mais comment l’intégrer dans le quotidien, c’est une toute autre histoire. Elle ne dispose souvent pas d’un service informatique pour l’épauler.

 

Concernant les connaissances en matière de savoir-être, de management, les soft skills, beaucoup de formations tant en présentiel que sur le web se sont développées ces dernières années. Cependant, le réflexe d’aller vers des cycles longs en sciences humaines et sociales (SHS) avec des cursus en sociologie des organisations, sociologie des controverses ou encore en anthropologie afin de constituer un socle solide de connaissance de base en SHS reste à créer.

 

Mais au-delà des choix de matières, un problème crucial demeure : notre cadre de catégorie A, seul dans sa petite commune, même s’il affiche la volonté de se former, pourra-t-il dégager du temps pour cela ? Rien n’est moins sûr. Cette question est d’ailleurs valable pour des collectivités de tailles plus importantes.

 

Décideur Public : Au cours d’un entretien*** sur les nouveaux enjeux des politiques publiques, Gilles Johanet, procureur général près de la Cour des Comptes, a évoqué la liberté que donne la sociologie pour aller regarder ce qu’il y a derrière le miroir. Imaginons des directeurs généraux des services "solidement" formés à la sociologie : seraient-ils selon vous libres d’aller regarder derrière le miroir et reconnus ?

 

Hélène Guillet : Tel un chef d’orchestre, le directeur général n’écrit pas la partition, mais la lit et dirige son orchestre en s’assurant des compétences de chaque musicien, de ses apports au groupe et surtout veille à la cohérence et au timing de l’ensemble afin d’obtenir un résultat d’excellence. Il semble donc normal que le pilotage de ses collaborateurs avec lesquels il doit être en symbiose, lui soit dévolu. Pourtant la proposition d’inscrire dans la nouvelle loi Fonction publique une disposition autour de ce principe a provoqué une levée de boucliers.

 

Dès lors, je m’interroge : au-delà des discours, quel rôle veut-on pour les directeurs généraux des services ? De simples exécutants ? Ou des managers de haut niveau, pilotes de systèmes complexes, quelle que soit la taille de la collectivité ? Une chose est sûre : aujourd’hui notre fonction n’est pas connue, rarement reconnue, parfois même peu respectée.

 

C’est dommageable pour attirer des talents car la jeune génération est désormais habituée au partage d’informations et réclame de la part des organisations, publiques ou privées, autonomie, souplesse, liberté de créativité et...reconnaissance.

 

 

 

                                        

*L’accompagnement des DGS et DGA en difficulté en chiffres :
 
-149 situations de fin de détachement identifiées et traitées par le niveau national depuis mars 2014
-Environ 140 CV transmis aux cabinets partenaires sur ces 2 premières années du mandat 2014/2020
-Près d’une quarantaine de chartes signées avec les centres de gestion,
20 signatures avec les unions de maires
-Une quinzaine de collègues ayant bénéficié du suivi MNT
-Socle de référence : le vade-mecum de fin de détachement, à lire et relire pour l’ensemble des collègues et plus particulièrement les présidents départementaux et régionaux

 

**« Rapport sur l'instruction publique, fait, au nom du Comité de constitution, à l'Assemblée nationale, les 10, 11 et 19 septembre 1791, par M. de Talleyrand-Périgord, ancien évêque d'Autun. Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale. Paris, Baudouin, 1791 ».

 

***https://www.youtube.com/watch?v=tRXQIeDhvjo

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