Le dernier ouvrage de Timothée Duverger, L’économie sociale et solidaire1 , propose une plongée dans un univers qui emporte l’adhésion tout autant qu’il suscite la perplexité, avec une grande question : l’économie peut-elle être sociale et solidaire ? Démocratique, porteuse d’innovations sociales, ancrée dans les territoires, l’« autre » économie peut aussi avoir des défauts, notamment en termes d’identité (« les statuts ne font pas la vertu ») et quant à la construction sociale réelle du territoire. Reste que l’économie sociale et solidaire (ESS), à travers les projets économiques porteurs d’innovation sociale qu’elle engendre, peut jouer un grand rôle dans l’accompagnement professionnel et social des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dont l’économie classique ne se préoccupe guère et où l’État n’a pas pu jusqu’à présent concrétiser ses ambitions, loin s’en faut.
Timothée Duverger est ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, directeur de la chaire Territoires de l’ESS (TerrESS), chercheur au centre Émile-Durkheim et codirecteur de l’observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation Jean-Jaurès.
1/ La loi de 19882 instaurant le RMI avait été votée à l’unanimité malgré d’importantes divergences de conception entre les différents groupes politiques qui n’ont pas disparu, à savoir la conditionnalité ou pas de l’aide à l’engagement de l’allocataire dans un programme d’insertion et la suspension éventuelle de l’allocation en cas de non respect dudit programme. Il semble donc que les débats actuels visant à réformer le RSA se fassent sur les mêmes bases, alors que la société a profondément évolué. N’assistons-nous pas finalement à un bis repetita ?
Je ne le pense pas. Certes, les ambiguïtés sur les sujets que vous mentionnez demeurent mais le contexte politique et la dynamique qui animent la réforme en cours du RSA sont radicalement différents par rapport à l’instauration du RMI en 19883. En effet, on voit mal aujourd’hui comment il pourrait se dégager une unanimité à l’Assemblée nationale, qui plus est sur un sujet aussi clivant politiquement. Mais surtout, la « philosophie » qui anime cette réforme est à l’inverse de celle de 1988. Permettez-moi de rappeler l’article 1er de la loi sur le RMI : « Toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation de l’économie et de l’emploi, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Cette prestation, une grande nouveauté à l’époque pour notre système de protection sociale, n’était pas destinée aux salariés et visait à la sécurisation des revenus. Il s’agissait de mettre en place un filet de sécurité pour les plus pauvres. L’accompagnement, en vue de l’insertion, était également conçue comme un droit.
Aujourd’hui, c’est le retour à l’emploi qui prime sur la protection sociale. Cette dynamique se retrouve également dans les dispositifs d’aides aux jeunes, qui leur refusent l’accès au RSA, ou encore dans les réformes de l’assurance chômage ou la réforme des retraites. L’objectif du Président de la République et de son gouvernement est de générer plus de croissance, on pourrait dire « quoi qu’il en coûte » socialement. D’où la volonté de « remettre » les français au travail afin de faire croître le taux d’emplois et d’améliorer les comptes publics en réduisant le coût de la protection sociale, jugé bien trop élevé. L’article 1er de la loi de 1988 est donc bien battu en brèche par l’actuelle réforme et ce, pour des raisons à la fois idéologiques et relevant d’une stratégie de finances publiques.
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1. Duverger T., L’économie sociale et solidaire, 2023, La Découverte, Repères.
2. L. no 88-1088, 1er déc. 1988, relative au revenu minimum d’insertion.
3. Tracol M., Trente ans après, retour sur la genèse du RMI, rapport, 2018, Fondation Jean-Jaurès
Pour lire la suite :
https://www.horizonspublics.fr/ Dossier : Les minima sociaux à l’épreuve des réformes
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